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Incorporé au 14e régiment de mobiles, Alphonse
Poncet participe avec l'Armée de Bourbaki à la campagne de
1870-1871 : après la tentative de levée de siège
de Belfort (début janvier 1871), il assiste à
la retraite sur Besançon et au replie sur la Suisse. Alphonse
Poncet est alors interné au camp de Kirchdorf (entre
Berne et Thoune). Voici la lettre qu'il adresse à ses
parents le 14 février 1871, lettre dans laquelle il
détaille son vécu du désastre de l'Armée
de l'Est.
Grand merci à Michel Mauny, arrière-petit-fils
d'Alphonse Poncet, pour la communication de l'ensemble de
ces documents et son autorisation de diffusion.
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Kirchdorf en Suisse 14 février 1871
Mon père et ma mère
Je vous écris aujourd'hui pour vous apprendre
que je suis prisonnier de guerre à Kirchdorf, canton de Berne,
en Suisse.
Je ne vous ai pas écrit depuis Chassagne
près de Beaune [alors] que nous sortions de Lyon. De là, nous
avons retourné à Besançon, nous avons passé par Bourg-en-Bresse,
nous avons resté deux jours en chemin de fer, la ligne était
encombrée de trains et nous avions pas de vivres. À Besançon
nous avions (sic) [avons] resté une vingtaine de jours. De
là nous sommes venus en dessus Belfort en passant par Rougemont
et dans des pays [où] on voye ni trouvait pas de vivres. On
donnait pour distribution un biscuit par jour avec du lard
mais souvent les distributions manquaient. Pour du pain, on
en avait jamais pour racire, on en avait gros comme le poing
chacun.
Je ne peux vous dire tous les pays où nous
avons passé depuis Bourg où il y avait 50 centimètres de neige
la seconde fois que nous y avons passé. Jusqu'à aujourd'hui
elle nous a pas quitté qu'aujourd'hui. Où nous sommes, le
temps se radoucit et elle fond.
Nous avons été en poste avancé au petit village
qu'on appelle La Chapelle deux trois jours par un froid cruel
à deux kilomètre des Prussiens. On s'esquivait la nuit dans
les maisons malgré les chefs pour ne pas périr de froid. De
là nous [vons] marché en avant, en arrière garde, où les bombes
nous sifflaient aux oreilles et s'abattaient dans nous. Il
fallait se coucher à tous moment. Pendant la journée, le sac
ne quittait pas notre dos et dans la neige tout le temps,
on éprouvait du désagrément tous, par manque de vivres et
de nécessités. Le brin de biscuit que nous avions eu ne nous
soutenait pas. Avec le peu d'argent qu'on avait, on achetait
des pommes de terre car pour du pain et du vin, le pays était
écrasé de troupes, on ne pouvait rien trouver avec de l'argent.
Nous avons été à deux lieux de Belfort, à Héricourt, à Arcey
où nous étions dans une petite vallée pour nous cacher de
l'ennemi, où tout notre régiment était. L'ennemi était derrière
la rivière, étant paré de la ligne de chemin de fer où il
était embusqué.
Le premier bataillon et le deuxième ont cherché
à sortir. L'ennemi a vu notre position, nous a envoyé des
bombes, nous ne pouvions ni avancer ni reculer, il fallait
rester dans le vallon en attendant les bombes qui tombaient
sur nous. Nous étions à 5 mètres d'eux. Les aumôniers sont
venus vers les morts et les blessés. On les transportait où
on pouvait avec nos toiles de tentes et nous avons attendu
la nuit pour nous retirer. On en voyait beaucoup qu'on croyait
morts qui étaient couchés dans la neige craignant d'être atteints
par les bombes. Pas un de ma compagnie n'a été atteint. Pendant
ces jours là nous avons couché dans la neige six jours. On
se retirait dans les forêts où l'on faisait fondre la neige
pour se faire la soupe et se faire boire car l'on restait
où l'on se trouvait. Beaucoup ont eu les pieds gelés. Moi,
j'ai les pieds enflés, je n'ai pu suivre le bataillon et on
ne pouvait pas avoir de billet d'ambulance. J'ai eu la fièvre
pendant une quinzaine de jours. La majeure partie était comme
moi, l'on a battu en retraite. Nous suivions le bataillon
comme nous pouvions à 2-3 lieux derrière. Nous ne touchions
ni vivres ni prêt quoique malades. Nous marchions tous les
jours, craignant de nous trouver prisonniers.
J'ai passé à Saint Hippolyte, Maîche, Pontarlier
dans le département du Doubs où on ne voit uniquement que
des montagnes et des rochers. J'ai couché une nuit à Pontarlier,
la fièvre me dominait, les Prussiens allaient rentrer dans
la ville. Je me suis trainé comme j'ai pu toute la nuit du
côté en dessus la Suisse où j'ai entré le 2 avec un corps
d'armée où l'on nous a désarmés.
Je suis obligé de terminer ma lettre à cours.
Je vous marquerai le reste plus tard. Voilà un long bout que
je n'ai plus d'argent, je vous prie de m'envoyer une cinquantaine
de francs de suite ou en deux fois pour ne pas hasarder tout,
car il me faut pour me rapproprier et me vêtir et pour me
traiter car on a tous rentré en Suisse en désordre. Je suis
cantonné à Kirchdorf dans un village près de Berne dans la
Suisse allemande. J'ai entré en Suisse le 2 février à L'Auberson-Sainte
Croix. J'ai passé à Peney, Yverdon, [non lisible], Moudon,
Romont, à Matran, Fribourg, Berne.
Rien de plus à vous marquer pour le moment.
Pour le présent, je ne vous marque plus rien, je ne suis pas
bien portant aujourd'hui mais j'espère que ça prendra. Souhaitez
le bonjour donc à tous mes parents.
Votre fils qui vous aime. Poncet Alphonse
Mon adresse : Monsieur Poncet Alphonse du
14ème régiment de mobile à Kirchdorf. Canton de Berne en Suisse.
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[Retranscription
de Michel Mauny, arrière-petit-fils d'Alphonse Poncet.]
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